
Vous dirigez notre concert conjoint avec l’HEMU les 5 & 6 février 2025. Comment abordez-vous ce travail particulier de diriger et des musiciens professionnels et des musiciens étudiants ?
Évidemment, diriger un groupe composé à la fois d’étudiants et de professionnels constitue un défi particulier. Il est facile de comprendre ce que chaque groupe peut apporter. Les étudiants, bien sûr, débordent d’enthousiasme tandis que les musiciens professionnels, eux, viennent avec le poids de leur expérience. Ils savent quels dangers éviter. Ils savent comment évaluer, comment calibrer les mouvements du chef d’orchestre, ses instructions, les relations entre collègues, l’interaction entre ce que chaque musicien joue et ce que les autres jouent. Je suis toujours très motivé quand on me propose ce type de projets parallèles qui mélangent les deux. J’espère qu’ils tireront le meilleur de l’un et de l’autre.
Le concert s’ouvre avec la Scottish Fantasy de Max Bruch (1880) dans laquelle vous serez à la fois au violon et à la baguette. Est-ce un double exercice que vous pratiquez souvent, notamment depuis que vous êtes directeur musical de l’Orchestre national de Lyon ? Quelles en sont les particularités ?
Cette deuxième question est celle qu’on me pose le plus souvent. Diriger et jouer ne sont pas des activités incompatibles. Au contraire, l’une nourrit l’autre, savoir créer un son aide lorsque l’on dirige et que l’on donne des idées et des directions aux musiciens qui jouent. Et inversement. Cette perspective est extrêmement utile car elle permet d’avoir une vision plus globale de la musique, puisqu’on n’est pas préoccupé par chaque note. On est plus conscient de la construction de la musique, de sa structure, de ce qu’elle signifie, et les deux s’enrichissent mutuellement. Maintenant, il y a un aspect pratique, bien sûr, et en l’occurence, je suis sûr que l’expérience d’un orchestre de chambre sera très utile, très bénéfique, même dans le travail collectif préparatoire. C’est une magnifique Fantaisie écossaise.
Le concert se poursuivra avec deux pièces écrites l’une après l’autre par un Richard Strauss de 25 ans : Don Juan et Tod und Verklärung. En quoi y reconnaît-on déjà le style du compositeur ?
Il s’agit des premières œuvres matures de Strauss, même s’il était extraordinairement jeune, mais ce sont des pièces dans lesquelles Strauss s’épanouit véritablement, où il devient vraiment le Richard Strauss que nous connaissons. Bien sûr, il a continué à se développer après cela, mais il était déjà un compositeur formidable, accompli, qui savait exactement comment exprimer les émotions, les couleurs, les sons qu’il souhaitait. Don Juan déborde de vitalité, comme il se doit. Beauté, séduction, et bien sûr, aussi tragédie. Tod und Verklärung poursuit cela. C’est véritablement une vision, peut-être idéalisée, de la mort. Nous serions tous si chanceux de quitter ce monde de la manière glorieuse que Strauss décrit. On raconte que sur son lit de mort, il a dit : « C’est comme Tod und Verklärung ». Peut-être était-il simplement un homme extraordinairement chanceux, capable, en plus de tout cela, de prévoir sa propre fin. Nous ne le saurons jamais.
Que diriez-vous à nos spectateurs pour leur donner envie de venir écouter ce programme ?
C’est un programme exquis, une musique exquise. Ces deux pièces de Strauss me sont très chères, et personne ne quittera la salle sans avoir été transfiguré ou transformé. C’est la puissance de la musique. Elle nous offre cela. C’est bien plus qu’une échappatoire. C’est bien plus qu’une bonne soirée. C’est aussi cela, bien sûr. Mais elle nous donne l’opportunité de voir ce qui est au-delà de ce que nous pouvons voir, ce que nous pensions pouvoir ressentir. La musique peut nous le montrer.
QUESTIONS D’ÉTUDIANT(E)S DE L’HEMU
En tant que musicien de haut niveau, vous avez sûrement vécu des moments de doute ou d’incertitude avant une prestation. Comment ces moments vous influencent-ils et comment les transformez-vous en une source d’inspiration dans vos performances ?
Tout musicien interprète doit affronter l’anxiété. On monte sur scène et on se met à nu. C’est quelque chose qui nous tient profondément à cœur. On y tient assez pour dire : « S’il vous plaît, écoutez. » En même temps, on sait qu’au moment où l’on fait cela, on peut prêter le flanc aux critiques. Les gens pourraient faire cela différemment ou aimer l’entendre différemment. L’acte de se produire devant les autres est, par définition, quelque chose qui nous oblige à sortir de notre zone de confort. Nous croyons en la musique, en la puissance de la musique, en la puissance transformatrice de la musique, à tel point que nous ne pourrions tout simplement pas imaginer ne pas être sur scène, ne pas partager cela avec les autres. Lorsque nous acceptons cela, cela nous aide déjà car nous savons que nous n’avons pas d’autre choix. Nous devons le faire.
Deuxièmement, et cela en découle, nous devons tous trouver des stratégies. Quelles sont-elles ? Est-ce des rituels ? De la méditation ? Qu’est-ce qui vous permet d’être sur scène, de monter sur scène et de faire en sorte que cette adrénaline que vous ressentez en vous soit quelque chose qui ajoute à ce que vous allez faire, et ne retire pas de ce que vous êtes sur le point de réaliser ?
Y a-t-il un souvenir particulier qui a radicalement changé votre vision de la musique ?
Je dirais que j’ai eu de nombreux moments dans ma vie qui ont changé ma vision théorique des choses. Je dirais que ces moments ont ouvert mes yeux à de nouvelles façons de comprendre la musique. Cela s’est souvent produit en passant du temps à parler, écouter, observer de grands musiciens plus âgés que moi, qui ont eu la gentillesse de m’inviter dans leurs cercles, que ce soit un Daniel Barenboim, un Colin Davis, ou d’autres personnes qui m’ont non seulement inspiré, mais qui ont aussi contribué à me façonner dans mon parcours, m’aidant à voir les choses autrement.
Je dirais que, plutôt qu’un seul moment, oui, j’ai eu de nombreux moments, et je dirais à tous les jeunes : cherchez ces moments. Cherchez les personnes qui sont plus âgées que vous, qui ont plus d’expérience. Ce n’est pas parce qu’on est plus vieux qu’on est forcément sage, mais cherchez ceux qui ont quelque chose à partager et essayez d’en extraire les choses qui vous ouvriront les yeux sur ce que nous essayons de faire, ce qui est essentiellement, en somme, essayer d’atteindre l’inaccessible. Nous travaillons avec la musique, qui est un idéal. Elle représente un idéal, un idéal que nous ne pourrons jamais réaliser complètement, et nous avons besoin de toute l’aide possible. Alors, je souhaite bonne chance à tout le monde. Merci.