
Vous dirigez notre concert hommage à Frank Martin les 30 avril & 1er mai 2025, en co-production avec l’association L’Odyssée Frank Martin. Pouvez-vous revenir sur ce projet et la participation de l’OCL ?
L’odyssée Franck Martin, c’est un projet monumental qui a été mis en place pour célébrer ce compositeur qui m’est très cher, que j’ai beaucoup joué quand j’étais flûtiste et dirigé dans le monde entier. À l’occasion de l’anniversaire du 50ᵉ anniversaire de sa mort, nous avons décidé avec un groupe d’amis de lancer ce qu’on a appelé « L’Odyssée Franck Martin ». Une odyssée, pourquoi ? Parce que c’est un parcours tumultueux, sinueux, difficile, impossible. On se décourage, on se réencourage, on s’arrête, on veut rentrer, on arrête, on recommence. C’est long, mais quand on arrive à la fin, d’abord, on est content d’arriver, mais surtout, on ne l’oubliera jamais.
L’idée de cette odyssée était aussi de remettre Frank Martin dans les esprits, autant des auditeurs que des organisateurs de concert, que des directeurs de conservatoires ou des ensembles de musique de chambre. Leur rappeler que c’est un compositeur exceptionnel qui, par effet de mode, a un peu disparu des circuits musicaux. Nos partenaires vont de la HEM à Contrechamps, à différentes compagnies de danse, à l’Orchestre de la Suisse Romande, l’Orchestre de Chambre de Genève, l’université, différents théâtres, le Grand Théâtre, et grâce à Renaud Capuçon, l’OCL, qui avait déjà joué le Polyptyque avec lui à Evian à l’été 2024. L’objectif de l’Odyssée, c’est de jouer la plupart des œuvres de Frank Martin, sur trois ans. C’est un projet éphémère mais nous avons réussi à mobiliser de nombreuses organisations culturelles et le public répond présent, quel plaisir !
Le concert s’ouvre avec les Etudes pour orchestre à cordes de Frank Martin, quelles en sont les particularités ?
C’est une œuvre qui a été composée en 1956 sans signification religieuse, mythique ou philosophique. Il s’agit en fait d’un exercice de style pour orchestre à cordes (qui existe aussi pour piano ou pour deux pianos) qui nécessite un très bon orchestre, surtout des cordes et je sais que celles de l’OCL sont d’un très haut niveau. C’est une très bonne pièce pour ouvrir un concert. Chaque mouvement est une étude qui traite en quelques minutes d’un aspect du travail musical : l’enchaînement des traits, le pizzicato, le sostenuto ou la fugue. Même, ou surtout pour les néophytes, c’est une œuvre très séduisante et captivante à écouter.
Le programme se poursuivra avec une musique de ballet, Die Blaue Blume dont le compositeur Bart Visman propose une suite instrumentale écrite pour l’OCL, en création mondiale. Quel nouvel éclairage cette orchestration jette-t-elle sur l’œuvre ?
Die Blaue Blume est écrite en 1936 en version piano pour un concours à l’Opéra de Zurich. Les danseurs l’ayant trouvé trop difficile à danser, elle n’avait pas été retenue et Frank Martin l’avait rangée dans un tiroir. Après sa mort en 1974, sa famille avait décidé de garder sa maison intacte jusqu’à il y a quelques années, après le décès de son épouse Maria, il a finalement été décidé de vendre la maison, et c’est à cette occasion que le manuscrit a été retrouvé. Nous avons demandé à un compositeur genevois, Nicolas Bolens, de faire une orchestration de tout le ballet, qui dure une heure et demie. Il l’a réalisée avec des accordéons, des saxophones, des percussions incroyables et le spectacle a été monté au Bâtiment des forces motrices avec un chorégraphe hip-hop, Mourad Merzouki et l’orchestre de la HEM.
Après quoi, je me suis dit qu’il en faudrait une version plus « facile » pour les promoteurs et les chefs pour la vie future de la pièce. Puisque Franck Martin a passé la moitié de sa vie à Amsterdam, nous avons demandé, conjointement avec le Concertgebouw (où le programme sera joué le 3 mai 2025), à un compositeur hollandais, Bart Visman, d’écrire une suite de 20 minutes, en création mondiale à Lausanne les 30 avril et 1er mai 2025 et quelques jours après en création hollandaise à Amsterdam. J’aime l’idée d’avoir deux créations mondiales de la même pièce !
La 2ème partie du concert proposera une autre musique de ballet, le Pulcinella de Stravinsky, dans lequel vous dirigerez la soprano Hélène Walter, le ténor Luca Bernard et la basse Stephan MacLeod. En quoi cette pièce fait-elle écho à Frank Martin ?
Nous voulions une pièce qui fasse écho au langage de Frank Martin. Pulcinella est très souvent jouée dans sa version “Suite” mais j’aime beaucoup la faire dans son intégralité, c’est-à-dire avec trois chanteurs et rôles magnifiques, qui facilitent l’accessibilité d’écoute pour le public. Pulcinella est un personnage simple qui, par tradition, représente l’âme du peuple, avec des instincts très primitifs, qui est très conscient de ses problèmes d’adaptation dans la société, mais qui s’en sort toujours avec le sourire. Il est poursuivi par deux filles qui ont chacune un fiancé mais sont très attirées par Pulcinella. Les deux fiancés le remarquent et, furieux, décident de le tuer en fomantant un complot dont Pulcinella entend parler. Il entreprend de se déguiser et de simuler sa propre exécution pour les berner. Il organise son propre assassinat et ressuscite devant tout le monde ! C’est une histoire légère, qui pourrait être un livret d’opéra et c’est en même temps une œuvre vraiment lumineuse, avec toutes les parodies de tristesse et la magie de la satire.
En miroir, l’histoire de Die Blaue Blume, c’est un peu Roméo et Juliette, avec une famille gitane qui arrive en ville et dont la fille tombe amoureuse d’un violoniste. Or, les différences de cultures rendent cet amour impossible. Après leur première nuit, la gitane part le matin en laissant une fleur bleue sur le ventre de l’homme de la ville, comme elle l’appelle. La fleur bleue, Blaue Blume, est le symbole du romantisme allemand. Ces deux œuvres autour d’amours impossibles iront très bien ensemble.
Que diriez-vous à nos spectateurs pour leur donner envie de venir écouter ce programme ?
Avec les Etudes pour orchestre à cordes, venez admirer la virtuosité des cordes fantastiques de l’OCL et avec Die Blaue Blume, venez vivre une aventure, autant pour vous, public, que pour l’orchestre. Assister à une première mondiale, et même une deuxième première mondiale, est un événement ! Enfin avec Stravinsky, venez savourer de la musique « champagne », presque de l’opéra bouffe avec légèreté et humour.
QUESTIONS D’ÉTUDIANT(E)S DE L’HEMU
De quelle manière votre expérience en tant que flûtiste vous a servi dans votre métier de chef d’orchestre ?
En tant que flûtiste pendant longtemps, j’ai eu la chance de jouer avec tous les grands chefs : Abbado, Harnoncourt, Lorin Maazel, Boulez, etc. À la suite de ces expériences est née mon envie de devenir chef d’orchestre. Au début, je croyais que ma pratique instrumentale allait beaucoup me servir mais j’ai très vite réalisé que non. Car quand on commence à être chef d’orchestre, on reprend tout à zéro, on apprend en étant bloqué, en avançant, en faisant nos propres erreurs et avec une capacité de discernement qu’on a intérêt à développer assez vite. Parce que quand on est chef d’orchestre, on nous dit rarement la vérité. Nous devons nous-mêmes avoir le discernement de mettre nos points faibles sur la table de travail. C’est en forgeant qu’on devient forgeron.
Y a-t-il une chose que vous faites à chaque fois avant de rentrer en scène pour un concert ?
Ce que je me dis à chaque fois, c’est…de ne rien me dire ! Pour arriver sur scène l’esprit vide. Ça, c’est la chose la plus complexe que j’ai affrontée au début. On arrive avec une sorte de volontarisme à tout expliquer d’abord à soi-même et puis de montrer aux autres qu’on a tout compris, alors que ce n’était pas forcément le cas. Donc l’idée est d’être complètement disponible avec un esprit et un métabolisme complètement vides afin d’entrer sur scène, non pas pour faire de la musique, mais pour laisser la musique nous façonner.
Quel a été votre concert le plus mémorable ?
Le prochain !