Eva Ollikainen

ENTRETIEN

Le 26 novembre 2025, vous revenez diriger notre orchestre. Quelle image en avez-vous gardée depuis votre dernier passage début 2024 ?

L’OCL est un merveilleux collectif d’êtres humains chaleureux, tout en étant des musiciennes et musiciens extrêmement dévoués. Ce fut pour moi une semaine réellement inspirante. J’ai également eu la chance d’entendre l’OCL avec leur chef d’orchestre, Renaud Capuçon, à Paris l’an dernier — un concert dont je garde un souvenir très cher. Une telle brillance, un jeu si coloré et si chambriste !

Le concert s’ouvrira avec le Concert Românesc de Ligeti, composé en 1951. Jugé trop dissonant par le régime stalinien, il sera interdit et joué seulement en 1971. Qu’est-ce qui, au niveau musical, explique, à votre avis, cette censure à l’époque ?

Voici la propre réponse de Ligeti lui-même :
“Sous la dictature de Staline, même la musique folklorique n’était autorisée que sous une forme « politiquement correcte », autrement dit forcée à correspondre au carcan des normes du réalisme socialiste : les harmonisations majeur–mineur à la manière de Dunaïevski étaient les bienvenues, et même les orientalismes modaux dans le style de Khatchatourian étaient encore permis, mais Stravinsky était excommunié. La manière particulière dont les orchestres villageois harmonisaient leur musique, souvent pleine de dissonances et “à contre-courant”, était considérée comme incorrecte. Dans le quatrième mouvement de mon Concerto roumain, il y a un passage où un fa dièse est entendu dans un contexte de fa majeur. Cela a suffi pour que les apparatchiks responsables des arts interdisent l’œuvre entière.”
Mais tout cela est plutôt étrange, car le Concert Românesc est probablement l’œuvre la plus aimée de Ligeti aujourd’hui : si charmante, amusante et irrésistible, avec une énergie et une orchestration incroyables !

La 2ème pièce au programme, le Concerto pour violon n°1 de Max Bruch, apparaît beaucoup plus consensuelle et est même devenue un incontournable du répertoire violonistique. Dans quelle direction comptez-vous diriger le soliste Daniel Lozakovich ?

La meilleure partie de mon travail, c’est que je rencontre énormément de musiciennes et musiciens différents — c’est pour moi le moment où j’écoute et où j’essaie d’être le partenaire de musique de chambre le plus attentif et le plus soutenant possible, apprenant et absorbant chaque fois de nouvelles idées sur les multiples manières d’interpréter une partition.

En pièce finale, vous dirigerez la Symphonie n°4 de Schubert, dite « Tragique », qui a elle aussi connu un destin contrarié. Composée en 1816 à 19 ans, elle ne sera jouée que 21 ans après la mort du compositeur. Ressent-on cette noirceur dans la pièce ? Êtes-vous attirée par les œuvres « maudites » ?

Schubert n’a jamais entendu l’une de ses symphonies interprétée par un orchestre complet de son vivant. Pourtant, je ressens dans ses œuvres une chaleur et une humanité telles — bien au-delà de son seul répertoire orchestral — qu’il devait sûrement être une âme optimiste.
La Quatrième est sa seule symphonie (complète) en mode mineur, et les mouvements extérieurs sont plutôt dramatiques dans leur expression. Mais pour moi, le cœur de l’œuvre est le magnifique mouvement lent en la bémol majeur. Du Schubert au sommet de son art : cela pourrait être un mouvement de sonate pour piano ou un Lied sans paroles.