Hossein Pishkar

ENTRETIEN

Vous êtes venu diriger l’OCL il y a deux saisons pour un concert de notre série des Dominicales. Aujourd’hui, vous venez pour diriger notre Grand Concert des 28 & 29 février. Quel souvenir gardez-vous de votre précédent passage et abordez-vous différemment ce nouveau concert avec nous ?

Je garde un souvenir ému de mon premier concert avec l’OCL. Ma fiancée était avec moi, c’est une musicienne très sensible, et après la première répétition, nous nous étions regardés et avions tous les deux pensé : « Quel magnifique orchestre ! ». C’est assez rare de diriger un orchestre avec des musiciens tous aussi doués, investis et bien préparés les uns que les autres. Je me souviens que le niveau m’avait paru tellement élevé, que j’avais pu leur envoyer en amont des images de tableaux de Botticelli pour les inspirer et cela avait eu un véritable écho dans leur jeu…Ce genre de répétition est un vrai cadeau pour un chef ! C’est donc avec grand plaisir que je reviens les diriger à Lausanne. Je m’y prépare à 100% comme pour tous mes concerts, quel que soit l’orchestre. Là, j’arrive en terrain connu avec un programme très lumineux.

 

Vous vivez en Allemagne et le programme du concert est 100% germanique – avec Mendelssohn, Brahms & Schumann – ainsi que le soliste Christian Tetzlaff. Voyez-vous des similitudes culturelles entre les trois pièces que vous dirigerez ?

Je dirais que oui. Il y a une sorte d’atmosphère générale chez les romantiques allemands qui est difficile à décrire avec des mots. Pour quelqu’un de familier avec la culture allemande, il y a beaucoup en commun entre Schumann et Heinrich von Kleist ou le style Biedermeier, entre Brahms et Hölderlin : l’attrait pour la nature, la symbolique des leitmotiv, tels que les ont utilisés Wagner ou Bruckner et qui ont certainement influencé conjointement Mendelssohn, Schuman et Brahms. Dans le deuxième mouvement du concerto pour violon de Brahms, ainsi que dans l’ouverture de Die schöne Melusine de Mendelssohn, on ressent le « Aufbruch », un mot pour désigner le printemps qui n’existe dans aucune autre langue, qui est symbolisé par le si bémol majeur. On dit qu’il y a des « paires » dans l’histoire de la musique (Haydn/Mozart, Schumann/Brahms), et même si je trouve plus de différences que de similarités entre Schumann et Brahms, la connexion de base entre eux est réelle quand on connaît bien la littérature allemande comme moi qui ai eu la chance d’étudier là-bas, de parler cette langue et de la lire.

Le Concerto pour violon de Brahms n’avait pas fait l’unanimité à l’époque alors qu’il est considéré maintenant comme un incontournable. Sauriez-vous expliquer ce qui a pu déplaire au public contemporain de Brahms ?

Les documents d’époque que nous avons ont révélé que la toute première exécution de l’œuvre fut un succès, en particulier le dernier mouvement. Ce serait bien d’avoir une machine à remonter le temps pour savoir ce qu’il s’est passé lors des représentations suivantes ! C’est Brahms lui-même qui la dirigeait et Joseph Joachim qui l’interprétait et sans lui, il aurait été impossible que la pièce voit le jour. Certaines parties n’étaient pas adaptées techniquement pour le violon et on sait qu’il y apporta de nombreuses corrections que Brahms refusa. Il y a donc des passages incroyablement difficiles à jouer. Hans von Bülow, un grand chef de l’époque, proche de Brahms, n’avait pas aimé que l’orchestre ait la même importance que le soliste. Ici, en effet, le rôle de l’orchestre n’est pas seulement d’« accompagner » le violoniste. Cette structure et la difficulté des parties violonistiques étaient assez nouvelles pour l’époque. De nombreux solistes ont refusé de la jouer et ont pu ternir la réputation de ce concerto mais l’histoire a montré que les pièces dont la création fut un scandale sont souvent des bijoux et nous sommes chanceux de les jouer !

QUESTIONS D’ÉTUDIANT(E)S DE L’HEMU

Avez-vous une « routine » physique avant d’entrer en scène ?

Oui et je suis toujours en train de la développer, car elle change au fur et à mesure des années et apparemment, je n’ai pas le meilleur corps pour diriger ! Alors je fais des étirements avant et à l’entracte et je mange peu avant le concert, notamment une banane.

Quel conseil pourriez-vous donner aux jeunes musiciens ?

Nous vivons une époque très particulière, dans laquelle, lorsqu’il y a une crise, nous entendons souvent la notion de « biens essentiels » dont la culture est bien souvent exclue. Je pense beaucoup à cela, surtout avec mon parcours personnel lié à mon pays, l’Iran, que j’ai quitté. Je me pose souvent la question de savoir pourquoi la musique n’est pas considérée comme un bien essentiel. Aujourd’hui, les limites et les distances entre le divertissement et la culture disparaissent et je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose. Si nous voulons protéger la musique en tant que culture, nous devrions regarder notre « travail » d’une autre manière. Ces moments que nous offrons au public peuvent changer des vies humaines ! J’ai fait le choix de consacrer ma vie à la musique, nourri dans mon enfance par les enregistrements de Herbert von Karajan. Je n’aurais probablement pas fait le même choix si j’avais grandi en écoutant Spotify et Youtube où cette dimension existentielle de la musique manque.

Je dirais donc à ces jeunes de ne pas forcément viser la perfection dans leur travail mais de se nourrir le plus possible de culture : lisez, écoutez toutes les musiques, allez au musée, parlez aux gens…plus vous investissez votre vie, plus riche sera votre musique et plus le public en retirera quelque chose d’essentiel. Et cette question de la culture en tant que bien essentiel n’en sera plus une.