Eva Ollikainen

ENTRETIEN

Vous dirigez notre concert conjoint avec l’HEMU les 7 & 8 février. Comment abordez-vous ce travail particulier de diriger et des musiciens professionnels et des musiciens étudiants ?

L’énergie de la jeunesse des étudiants mêlée aux compétences et au savoir-faire de leurs collègues professionnels est une combinaison fascinante! Nous aurions peut-être besoin de plus de temps pour peaufiner certains détails quand les orchestres ne sont pas habitués à jouer ensemble, mais à part cela, ce type de production est vraiment très enthousiasmante. On assiste à la naissance de belles synergies et les étudiants apprennent tellement jour après jour.

 

Vous avez déjà dirigé cette pièce majeure qu’est le Sacre du Printemps de Stravinsky. Pour l’OCL, ce sera une première. Quels sont les défis que cela représente ?

Le Sacre du Printemps est une pure merveille: l’orchestration, la forme et l’énergie sont absolument incroyables! Encore aujourd’hui, cette pièce est d’une grande modernité et donne toujours des frissons. Chaque membre de ce grand orchestre se doit d’être le plus affûté possible pour exécuter un tel chef-d’œuvre. Le challenge réside dans la gymnastique de l’esprit: personne ne peut se permettre de débrancher son cerveau une seule seconde. Il faut le garder à un niveau d’alerte maximale pendant toute la durée de la pièce.

Pouvez-vous présenter la compositrice Anna Thorvaldsdottir dont la pièce Archora sera jouée en création suisse ? En quoi s’associe-t-elle si bien au Sacre du Printemps selon vous ?

Pour Anna Thorvaldsdottir, l’inspiration principale d’Archora provient de l’idée d’une énergie « matrice » et d’une réalité parallèle omniprésente – un monde à la fois familier et étrange, statique et mutant, nulle part et partout en même temps. C’est cette sensation d’énergie fondamentale qui fait si bien le lien entre le Sacre du Printemps et Archora.

QUESTION DU PUBLIC

Pensez-vous que la carrière de cheffe d’orchestre soit plus facile à envisager en Scandinavie qu’au Sud de l’Europe ?

Je crois que le scandale autour de l’ancienne Première Ministre finlandaise Sanna Marin, à qui l’on a reproché d’avoir fait la fête, résume assez bien la situation dans mon pays d’origine. Il n’y avait pas eu le même battage médiatique lorsque notre ancien président, un homme, avait été vu, ivre, incapable de tenir debout. Le Danemark, où je vis actuellement, est à mon sens loin derrière la France en matière d’égalité des genres. C’est en Islande, où j’ai la chance de travailler, que l’égalité homme-femme est plus développée que dans n’importe lequel des pays nordiques voire n’importe oû dans le monde. Mais même là-bas, il a fallu une manifestation à l’automne dernier pour lutter contre les inégalités de genre. 100’000 personnes y ont participé, soit presqu’un tiers de la population islandaise totale ! Je crois qu’il y a encore des progrès à faire partout dans le monde avant de pouvoir dire que nous avons réalisé le souhait de Friedrich Schiller : « alle Menschen werden Brüder » (« Tous les hommes deviennent frères »)

QUESTION D’UN(E) ÉTUDIANT(E) DE L’HEMU

Quelle est l’anecdote la plus marquante de votre carrière ?

J’ai tellement de souvenirs merveilleux, si différents les uns des autres, contrastés. J’ai pu expérimenter l’énergie des Proms dans un Royal Albert Hall complet, c’est une de mes expériences les plus amusantes de ma vie. De l’autre côté du spectre, quand j’étais une très jeune cheffe, je suis partie en tournée avec un orchestre finlandais pour jouer dans une maison de retraite où vivaient des vétérans de guerre et des personnes en situation de handicap. Cela m’a profondément émue. Je crois qu’il suffit qu’une seule personne du public soit émue ou trouve de la consolation, de l’inspiration en nous écoutant, pour que ce soit important. Et lors de cette tournée, tellement de personnes se sont senties heureuses et reconnaissantes, certaines jusqu’à en pleurer. Je ne l’oublierai jamais.